23 Regresso al convent, L’humour et bien au delà, peinture d’Eduardo Zamacois y Zabala

Bonjour à toutes et tous,

Voici la 23è des œuvres d’art que je vous envoie dorénavant.

Pour cette semaine, un peu d’humour nous fera du bien, et ce ne sera pas la dernière œuvre d’art de ce type.

Voici une peinture espagnole, “regreso al convent(1), due au talent d’Eduardo Zamacois y Zabala (1840, Bilbao – 1871 Madrid)



1868 Zamacois Eduardo, Regresso al Convent, Fondation CarmenThyssen, Malaga, CTB 199726Version à la colorimétrie d’origine 

1868 Zamacois Eduardo, Regresso al Convent, Fondation Carmen Thyssen, Malaga

Version aux tons légèrement éclaircis pour mieux découvrir les détails.

Ce peintre est peu connu en France. Pourtant , après sa formation, il s’installa, se maria et fit souche à Paris. C’est au cours d’un séjour romain, autour de 1868, qu’il entreprit tout un cycle de tableaux s’attachant à la vie quotidienne des moines et moniales.
Sa facture est très belle, sa narration picturale efficace, à plusieurs degrés d’approche.
Alors, pourquoi si peu de renommée actuelle ? Car le plus parisien, peut-être, des peintres espagnols du XIXè siècle mourut à l’âge de 30 ans…

Techniquement, ce tableau fut peint à l’huile et date -donc- de 1868.
Il relève des scènes de genre, traitées avec réalisme / naturalisme. Les moines sont des franciscains, reconnaissables à leur habit.
Soit.

Y-aurait il une allégorie moins futile que l’anecdote drôle de la 1è vision de la scène ?
À vous lire !

Admirez, savourez, étudiez… et commentez

Amicalement,
Jean-François

(le tableau est légèrement éclairci dans cette version de cliché, utile pour discerner tous les détails)

(1) : “Retour au couvent”

  • Bien sur, le tableau possède beaucoup d’humour. Mais celui-ci constitue un 1e niveau de lecture.
  • Son  réalisme /naturalisme s’appuie sur une très belle qualité de peinture, d’origine académique  -le peintre a séjourné d’ailleurs à Rome avant de gagner Paris- se manifestant aussi dans les détails, jusqu’aux délicates vaisselles posées sur le parapet.
  • Et si Eduardo Zamacois, Espagnol, peintre, catholique sincère, par sa série de tableaux sur la vie des moines voulait refléter sa critique constructive d’une pratique chrétienne confrontée à des routines régulièrement dévoyées ?
    • Nombreux sont les symboles et éléments du tableau qui nous permettent de le penser :
      * Le tableau compte 12 moines, comme les 12 apôtres,
      * 3 d’entre eux -seulement- font preuve de compassion pour la situation, 3 y restent hermétiques, le moine malhabile est au centre de la composition, et un dernier moine, âgé, n’est pas encore arrivé, portant seul son fardeau de courses. Pour les autres, 2 sourient et 2 rient à gorge déployée.
      * Les victuailles rapportées connaissent 7 destins différents
            1 – tombées du bât de l’âne rebelle, au centre du tableau,
            2- disposées sur le parapet une fois le sac vidé ; il s’agit de laitages, qui se retrouvent pourtant en pleine lumière
            3- Dans leur panier, posées à même le sol avec une double sacoche tissée à côté, tout près des déjections d’un des 4 ânes du second plan
            4- En cours de déchargement pour le bât de ce même âne, manœuvre interrompue par le rire moqueur du moine qui en a la charge
            5- Au moins deux autres ânes, déjà attachés à l’anneau, attendent le déchargement
            6- Conservées à l’épaule par l’un des moines -le plus jeune- plein de compassion, debout à côté du père abbé. Notez les couleurs de cette                      sacoche, bleue et blanche, couleurs sacramentelles dans la tradition juive, 
            7- Enfin, le vieux moine solitaire, encore en route, porte la dernière sacoche à l’épaule, lui aussi, sans animal de bât.
      * Voici maintenant la première clef de lecture qui s’impose à l’esprit : les ânes représentent le peuple vers qui enseigner le message du Christ.
      L’affronter dédaigneusement amène à voir chuter son fret, c’est à dire le Message chrétien, dont les gens alors ne veulent plus, tandis que les autres ânes -dont un se monte (celui de droite), son cantonnés à un rôle subalterne. L’allégorie n’est pas nouvelle. Ne compare-t-on pas, notamment à cette époque, une personne bête ou bornée à un âne (bâté au besoin, cf. le “bonnet d’âne”). Ce mauvais rapport à l’animal, et donc par extension aux simples, au “Peuple de Dieu” est ici l’objet d’une critique fondée.
      * Les victuailles transportées. Là encore, l’allégorie est limpide : “Fruits de la terre et du travail des hommes” (paroles rituelles de l’Eucharistie), elle  symbolisent la Parole divine, que le Christianisme appelle la vraie Nourriture. Par ce fonctionnement partiellement dévoyé, que font donc ces gens d’église s de celle-ci ? 
      On comprend mieux l’interrogation  sous jacente : entre ceux qui gaspillent et corrompent la sainte Parole et son accès au Peuple, et ceux qui la conservent pieusement, qu’adviendra-t-il des victuailles non encore déchargées, c’est à dire des Paroles non encore entendues ?
      Rappelons que l’époque d’Eduardo Zamacois, 1e siècle des temps contemporains, est agitée par ces rapports troublés à la Religion, et l’Espagne n’est surtout pas préservées de cela ;  c’est même tout l’inverse.
      * Le parapluie, tombé, pointe vers le moine hargneusement dépassé : La vraie intempérie viendrait donc de lui et de ses semblables maltraitants, des conséquences de sa façon de traiter l’autre. En reprenant le parallèle, peuple // âne, vient ainsi cette parole du Christ «Ce que vous avez fait au plus petit d’entre les miens, c’est à moi […] que vous l’avez fait » (Mt 25, 40).
      En ce sens, le choix de représenter des franciscains, ordre mendiant voulant revenir à la pauvreté” et la fraternité évangélique, est ici d’autant plus intéressant, 
      * De même, le chien noir, tout excité, court après l’un ou l’autre des fruits, ou vers ce parapluie. symbole de la fidélité, l’animal ne sait plus bien où se trouve celle-ci,
      * Accoudé à la droite du parapet, le franciscain taciturne, comme le moine au visage émacié, derrière le groupe de l’abbé, semblent juger sans intervenir, et sans aucune compassion. Serait-ce une référence à la  défunte Saint Inquisition, supprimée au début du même siècle, à laquelle une petite partie des franciscains participât ?
      * Seuls, le groupe des 3 moines, père abbé à la longue barbe fourchue à la manière des Prophètes d’Israël, le vieux moine aux lunettes, signe convenu d’érudition, qui porte par ailleurs une calotte, dont l’origine est la Kippa juive pour rappel, et le plus jeune des moines, manifestent leur compassion, le plus jeune serrant contre lui les plus saintes des Nourritures spirituelles (Couleurs bleue et blanche).
      * S’ajoute aussi que le vieux moine solitaire (allégorie de l’ermite ?) encore en route, comme doit l’être un chrétien durant sa vie. eux seuls manifestent le message chrétien non dévoyé. son chemin est montant, et la route est bordée de … 7 arbres. Autour du 4è arbre, qui centre la partie droite de la composition, ce vieux moine  se trouve en symétrie avec le clocher de l’église du village, en contrebas, 

      * le vitrail représentant la Croix, sur l’imposte de la porte de l’église, et la scène de l’Assomption, visible sur notre droite, au portail de l’église (en lieu et place de l’entrée ordinaire d’une église à trois porches), confortent l’analyse. La  Croix se trouve au dessus du groupe des 3 sages. L ‘Assomption au dessus du centre de la scène. Sa signification -ici au sein d’une critique chrétienne- évoque aisément la paraboles des deux serviteurs -appelée aussi parabole des talents- dans l’Évangile selon Matthieu, chapitre 25, versets 14 à 30, ou le premier cultive les biens du Maître pendant son absence  (ie. pendant qu’il n’est plus directement visible car monté aux Cieux), quant l’autre les délaisse. Notons qu’une peinture extérieure à fresque est très improbable dans l’Espagne baroque, et que, de ce fait, le peintre a sciemment choisi d’affirmer cette symbolique au détriment du plausible, écartant la simple reproduction d’un bâtiment existant.

      Voici quelques clefs de lecture, qui, bien sur, sont loin d’être exhaustives 😀  et qui montrent combien ce tableau n’est pas seulement un moment d’ humour, qui en l’occurrence se moque d’une mauvaise façon de faire, sans que chacun des rieurs en propose une meilleure…

      Jean-François Martine, mars 2021

       

      Bibliographie rapide :
      Fondation Carmen Thyssen, Malaga https://www.carmenthyssenmalaga.org/en/obra/regreso-al-convento

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