45 Un condensé d’histoire de France sur un porche oublié, à Yerres (91) ?

Bonjour à toutes et tous, voici la 45è des œuvres d’art que je vous adresse.

Cette semaine, je vous livre une interrogation qui mobilisera votre analyse que j’espère sagace :

Un condensé d’Histoire de France ?

Nous sommes dans l’ancienne Abbaye royale de Yerres, Essonne

 

Description =
Côté droit d’un portail, voici le détail d’un pied-droit (ou piédroit), divisé en 2 parties intérieure (intrados) et extérieure (extrados), séparées par une cannelure verticale, en relief rectiligne, sculptée dans la masse.

– Une branche d’acanthe avec feuille détaillées naît plus bas que le personnage figuré -un sonneur- et forme avec lui l’ornementation intérieure.
– L’habillement du personnage, notamment la cagoule, est rural, de type médiéval. Peut-être serait-ce une bure , mais sans cordon, ni bas du personnage visible, on peut le regarder comme un habit paysan. Son instrument, la cornemuse, est très ancien et largement répandu en Eurasie et méditerranée du sud. Il y est très populaire.
– Une branche de raisin, sa grappe et ses feuilles finement travaillées ornent l’extrados.
Notons que la pierre prend trois variations de teintes :
Verdâtre en bas, blanche au centre, rousse en haut.

Symboles visibles =

– des symboles chrétiens, la grappe de raisin, les feuilles de vigne sur leur branche.

– un symbole antique célèbre, et réutilisé voire christianisé vers la fin de celle-ci, les feuilles d’acanthes, rappelant le triomphe des aspérités de la vie, via les épines présentes à la pointe des feuilles d’acanthe.
– un symbole profane, le sonneur. La représentation du musicien est semi-réaliste par ses détails, teintée de grotesque (oreilles de la capuche) et invraisemblable par son assise. Le sonneur pousse en effet comme 1è feuille de la branche d’acanthes.

Signification =
Le style de ce portail est gothique flamboyant tardif. Nous sommes dans l’univers mental et artistique d’une période de transition, entre la toute fin du moyen-âge français et le passage aux temps modernes. Du reste, l’ensemble manifeste une influence de la Renaissance italienne, visible par la géométrie de cette cannelure du pied-droit, et surtout, par l’arc surbaissé.
La pierre blanche, calcaire tendre taillé et finement sculpté, signe une aisance matérielle ayant permis son érection. L’ornementation prend place sur la porte d’accès, certainement au réfectoire du monastère.

En effet, on y trouve une distinction entre nourritures et brillances terrestres et spirituelles.
Notons que les symboles chrétiens figurent sur l’extrados, signifiant que les vraies nourritures sont ailleurs, et que, donc, ce réfectoire et les repas qui y sont dispensés relèvent de l’utile et non de l’essentiel.
S’il s’était agit du portail d’une église ou chapelle, c’eut été l’inverse, car c’aurait été alors en franchissant le seuil du sanctuaire qu’on se serait approché de la nourriture divine.
L’intrados, au plus proche de l’entrée, présente les égarements des tentations terrestres.
La musique alors connaît un statut ambivalent, facilement regardée comme diabolique si associée à la danse, ce que l’habit tout villageois du sonneur suggère.
Les feuilles d’acanthes figurent, ici, la brillance futile des ors du monde -qui se révèlent des épines tentatrices dont le chrétien doit triompher- à l’image des fausses vérités antiques supplantées par le Christianisme et surtout de la distinction entre Spirituel et Temporel.
C’est là une des interprétations symboliques traditionnelles de l’acanthe, qui explique mieux son impact laudatif et triomphal.
Le même message prend deux voies : l’acanthe adressé aux nonnes, plus souvent nobles ou notables urbaines, et le sonneur aux sœurs converses, plus souvent rurales et de faible extraction.
Mais il insiste par chacun de ces symboles sur la même vanité des plaisirs terrestres.

Et les variations de couleur de la pierre ?
Celles-ci relatent l’histoire tourmentée du lieu, entre périodes d’abandon, qui laisse l’humidité attaquer la pierre par le sol,
et périodes de troubles accompagné d’incendie, l’un d’eux a sans doute roussi le haut de cette porte, sortant de l’intérieur de ce probable réfectoire.
Elles sont de nos jours moins visibles, suite à la restauration sommaire qui a pris place. L’appareil utilisé en 2009 les a sans doute aussi accentuées, faisant ainsi office de filtre.

Le portail du réfectoire dans son état de  2009 Le portail du réfectoire en  2017
Le portail du réfectoire de l'ancienne abbaye de Yerres, en 2009 Le portail du réfectoire de l'ancienne abbaye de Yerres, en 2017
Le portail du réfectoire vers 1900 Le réfectoire vers 1900 ( tout à gauche, le portail)
Yerres, Abbaye royale, portail du réfectoire vers 1900 Carte postale ancienne "89ter Ancienne Abbaye d'Yerres - Portes et Fenêtres du réfectoire"

 

 Le cadrage historique le confirme =Nous sommes dans l’ancienne abbaye royale Notre-Dame de Yerres (Essonne), longtemps abbaye aux Dames sous la protection royale.
Les deux blasons royaux, dont l’un est en partie gratté, témoignent de cette ancienne protection. Actuellement lotie en appartements, après bien des vicissitudes alternant laisser-aller, abandons, dégradations, restaurations, changements d’affectation, etc.

Ce pied-droit appartient au portail de l’ancien réfectoire.
Le portail a été créé durant le 1e tiers du XVIè siècle.
L’histoire de l’abbaye nous apprend en effet que durant le règne de François 1er,  les bénédictines restaurent l’abbaye et la repeuplent après une période d’abandon.
Si vous vous rendez sur place, vous verrez que cette pierre, tendre, tranche sur les pierres constituant le bâtiment, plus anciennes, aux arêtes plus incertaines.
Le portail a en effet été surajouté au bâtiment préexistant, dont l’architecture fut alors en partie ré-écrite.

 

À vous d’observer et de chercher, car ce sont les meilleurs chemins pour commencer à trouver,
et voilà bien ce que je vous souhaite.

Admirez, savourez, étudiez… et commentez

Amicalement,
Jean-François
p.s.: Le texte date de 2017, et je ne l’avais jamais encore publié lisiblement

Bibliographie sommaire (2021) :
http://sahavy.free.fr/psites/pabbayeyerres.html
https://monumentum.fr/abbaye-notre-dame-pa00088048.html
http://www.yerres-nostalgie.com/img/Liens/HistoireAbbaye1995.html
https://fr.wikipedia.org/wiki/Abbaye_Notre-Dame_d%27Yerres

 
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