48 Hélène Bertaux, Psyché sous l’empire du mystère, 1885-87

Bonjour à toutes et tous,

Voici la 48è des œuvres d’art que je vous propose chaque semaine.
Venons en aux faits :

La Statue de Psyché par Hélène Bertaux

1885-87, Bertaux Hélène, Psyché sous l’empire du mystère, 3-4avtD, prefigurationrevue.com

Hélène Bertaux

UnE rapide biographie s’impose :

Encore trop peu de gens connaissent cette sculptrice du XIXè siècle.
Hélène Pilate est née à Paris, dans un milieu d’artisans modestes, proche du philosophe social (on dira très longtemps “utopiste”) Saint-Simon.
Parmi les thèses philosophiques de celui-ci, l’émancipation des femmes constitue un thème aussi fort qu’évident.
La mère d’Hélène, Jeanne Planson, est très vite veuve. Elle se met en couple avec Pierre Hébert, sculpteur, enfant de vignerons passé d’aide-maçon aux Beaux Arts, grâce à son talent tôt reconnu.
Il accueille Hélène travailler avec lui, ce qui lui assure une formation initiale, autour de la réalisation de sculptures et d’objets de petite dimension.
L’enfant que Pierre et Jeanne auront ensemble, Pierre-Eugène Hébert, sera lui même sculpteur. On devine ainsi l’atmosphère artisanale, artiste, bienveillante, qui devait régner dans cette famille.
Plus tard, Hélène entre parfaire sa formation dans l’atelier d’Auguste Dumont, sculpteur reconnu (le Génie de la Bastille,…) qui deviendra peu après professeur aux Beaux Arts.

Féministe pour que les femmes puissent vivre de leur art

Durant sa longue vie, 1825-1909, Hélène Bertaux, femme artiste, accomplira un travail émérite pour la considération et la libération sociale des femmes artistes, rééquilibrant, par ses actes, une partie des injustices introduites dès la Révolution française et aggravées depuis Napoléon 1er.
– Elle sera ainsi la première artiste française à sculpter un nu masculin, en 1964. Ce sera le “Jeune gaulois prisonnier”.

– Pour s’affranchir des interdictions et portes closes d’alors, elle  fonde l’ “Union des femmes peintres et sculpteurs”, dont le salon naissant présentera annuellement les œuvres de ses sociétaires.
– Enfin, sa lutte acharnée, avec d’autres artistes, aboutira à la fin du XIXè à l’accueil des femmes aux écoles des Beaux Arts (1897),
dont les classes de nus accessibles en 1900, à exposer aux salons et participer ainsi aux concours.

Un exemple des difficultés d’alors à exercer son art quant on est une femme : Elle ‘choisira’ de signer “Léon Bertaux”, du nom complet de son 2è mari, pour concourir aux commandes publiques.
Vous pourrez également voir certaines de ses  sculptures signées autour de 1849 Hélène Allétit, du nom de son 1er époux.

Une sculptrice de grand talent

Trop souvent, on insiste seulement sur cet aspect de sa vie. Il fut important et socialement crucial.
Mais c’est sur l’artiste, la sculptrice, ses choix esthétiques, qu’il est tout simplement normal de centrer notre regard.
Sinon, le temps qu’elle a dépensé pour ses justes combats se retournerait contre sa propre œuvre. Ce qui serait un comble.
Elle est une des grandes personnalités artistiques de la sculpture du XIXè siècle. Tout simplement.

Le Psyché sous l’empire du mystère

La statue représente la Psyché en femme nue, aux formes proches d’être stylisées. La statue date de 1885-87. Le Petit Palais la propose aux yeux du public. Il en existe une autre version, de marbre.
Alliée à la patine utilisée pour le bronze, l’esthétique induite mêle corps humain, féminin, stylisé, avec une insistance sur le rendu métallique, entre être humain et robot.

1885-87, Bertaux Hélène, Psyché sous l’empire du mystère, 3-4 avant gauche, Wikipédia

La statue va intriguer et fasciner d’éminents critiques d’art d’alors. Ainsi Armand Sylvestre, écrivain et critique d’art, du journal Gil Blas, qui écrit dans ce quotidien en février 1888 “Cette belle statue [..], qui vaut par la science de sa plastique, le calme et la puissance de l’inspiration, une exécution aussi sobre que consciencieuse, me charme peut-être plus encore par des qualités psychologiques et par le monde d’idées qu’elle soulève(1).

Comme le rappelle le site histoire-image.org, Hélène Bertaux “… est également la première femme à obtenir une médaille d’or de première classe pour Psyché sous l’empire du mystère (1889, plâtre, 181 × 49 × 43 cm, Sète, musée Paul-Valéry) à l’occasion de l’Exposition universelle de 1889.

Portée par Psyché, ce qui semble être un casque au ciel ouvert pour former deux ailes évoque également une cervelle mise à jour, aux 2 parties crâniennes soigneusement relevées.
Voici une allégorie de la pensée qui s’extrait des contingences, ou l’on se trompe fort.


Ce qui est officiellement la chevelure visible sous cette coiffe étrange se découvre surprenante pour une coiffure féminine de cette fin du XIXè siècle.
Encore un autre élément symbolique. La sculpture si bien réalisée, ainsi observée, se révèle visionnaire.

Cette statue sera une source d’inspiration, ou bien cette esthétique sera-t-elle réinventée spontanément par des artistes ultérieurs ?

Je penche très fortement pour la première explication, au vu de l’imbrication des courants esthétiques d’avant garde, notamment entre Allemagne et France.
En effet, à une génération de là, dès les années 20, et durant une grande partie du XXè siècle, on retrouvera régulièrement des expressions analogues de l’humanité mystérieuse et (car ?) robotique autant qu’inquiétante. 
Cette utilisation de l’Homme (ie, utilisation => “qui devient outil” !! ), se retrouve, par exemple, dans la réelle parenté entre cette Psyché sous l’empire du mystère (1889) et le double robotisé de l’héroïne du Métropolis de Fritz Lang de 1927, appelée par son sculpteur “Maschinen-Mensch”.
L’affiche d’ailleurs fut réalisée par un grand artiste affichiste français, Charles Loupot, pour placer en position centrale la création peut-être la plus célèbre du sculpteur allemand Walter Schulze-Mittendorff pour ce film(2). Ce sculpteur connaîtra d’ailleurs une longue carrière de costumier pour le cinéma.

Pouvez vous trouver d’autres œuvres dont l’esthétique semble puiser dans cette sculpture énigmatique ?
Et parlez moi du Mystère et de son empire sur la Femme / Humanité ainsi représentée ? À vos plumes,

À vous lire !

Admirez, savourez, étudiez… et commentez

Amicalement,
Jean-François

Bibliographie rapide :
– Wikiphidias http://www.wikiphidias.fr/index.php?option=com_content&view=article&id=90:bertaux-leon&catid=34:biographie&Itemid=53
– Wikipédia https://fr.wikipedia.org/wiki/Hélène_Bertaux
– Nakawé doc https://www.nakawedoc.com/fr/portraits-de-femmes/sculpture/helene-bertaux
– Préfiguration, revue des arts figuratifs https://www.prefigurationsrevue.com/revue-103-femmes-empêchées/hélène-bertaux/
– main d’art https://www.mains-d-art.fr/prix-helene-bertaux/
– histoire-image.org https://histoire-image.org/fr/etudes/helene-bertaux-sculptrice-vue-etienne-carjat

(1) : cité par https://www.nakawedoc.com/fr/portraits-de-femmes/sculpture/helene-bertaux

(2) :https://www.cinematheque.fr/expositions-virtuelles/expressionnisme/reperes/decorateurs/schulze-mittendorf.php, et notamment ces éclaircissements :
La Cinémathèque française demande dès 1964 à Schulze-Mittendorff d’étudier la possibilité de reconstituer ce robot, mais il faudra attendre 1970 pour que le décorateur s’exécute. Cette année-là, il reçoit en effet de Lotte Eisner une commande ferme pour fabriquer le Maschinen-Mensch («être humain-machine»), sans aucune partie mobile («l’apparence ne changera pas, et la statue sera mieux garantie contre les dégradations»). Lotte Eisner finance la reconstitution. En revanche, faute d’argent, la Cinémathèque ne pourra acquérir, toujours en 1970, les extraordinaires têtes sculptées des sept péchés mortels de Metropolis que Schulze-Mittendorff restaure et propose à la vente.

Le décorateur a laissé quelques explications sur la fabrication de son robot: «Problèmes de forme? Non! L’expressionnisme vivait. La forme technique avait été découverte comme motif pour la peinture et la sculpture. La primauté allait dans ce cas à la question: “Quel matériau?” […]. Le hasard m’aida. […] Une petite boîte de carton avec l’inscription “Bois plastique” attira mon attention. […] Le bois-plastique était une masse de bois malléable, durcissant très rapidement à l’air et qu’il était alors possible de travailler comme du bois naturel. Il était nécessaire de soumettre Brigitte Helm à une procédure peu agréable pour elle – faire un moulage en plâtre de tout son corps. Des morceaux de toile d’emballage, découpés comme une armure, furent recouverts sur deux millimètres environ, par la masse de bois, aplatie avec un vulgaire rouleau à pâtisserie, puis disposés sur la “Brigitte Helm de plâtre”, à la manière dont un cordonnier dispose le cuir sur sa forme. Une fois le matériel durci, les parties furent polies et les contours coupés. Telle fut, en gros, la structure de la “créature-machine” qui permettait à l’actrice de se lever, de s’asseoir et de marcher. Étape suivante: la décoration et la réalisation des détails […]. Et, enfin, de la laque de cellulose mélangée à du bronze argenté, appliquée avec un pistolet vaporisateur, produisit l’apparence métallique, convaincante même à l’œil nu. Le travail avait duré quatre semaines» (cité par Lotte H. Eisner, Fritz Lang, Cahiers du cinéma/Éditions de l’Étoile/Cinémathèque française, 1984, p. 112-113).

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DUFOUR Gerard

Sculpture énigmatique, d’une pureté et d’une perfection remarquable. On parle du Mystère et de son empire sur la femme. Je pense que cela fait référence à la fable Les Métamorphoses d’Apulée écrivain de l’empire romain d’Afrique qui vivait à Tunis en 125-170.
Psyché est une fille de roi belle et convoitée. On l’honore comme si c’était une déesse mais ses parents s’inquiètent de ne pas lui trouver d’époux. Ils consultent l’oracle qui leur conseille de la sacrifier pour satisfaire Aphrodite qui prend ombrage de ses charmes. Mais face à la mort, une brise légère l’enlève et elle s’éveille dans un palais féérique. Psyché après avoir affronté la mort va se confronter à l’Amour, un amour secret qu’elle ne peut ni voir ni avouer. Mais ses sœurs jalouses de son bonheur l’invitent à démasquer son mystérieux amant. A la lueur d’une lampe, elle regarde une nuit le visage de son Amour mais une goutte d’huile bouillante tombe de la lampe et réveille son soupirant c’est Eros qui s’enfuit aussitôt. Désemparée elle cherche à se jeter dans le fleuve mais les Dieux viennent à son secours enthousiasmés par son courage, son audace et son amour.
Psyché est décrite non comme une victime mais comme une femme courageuse, fière, éprise de liberté, une battante. N’est ce pas le portrait d’Hélène Bertaux.
En grec, psyché signifie l’âme qui souffle la vie, les ailes sur son crâne symbolisent sa destinée, son envol vers l’immortalité. L’Amour ne peut que transcender la nature humaine, l’élever vers le spirituel, sublimer l’âme et le cœur.
Psyché a donné le nom au XIXème du miroir qui reflète l’image de soi jusqu’à l’âme.

.

NIZINSKI Dominique

”Psyché sous l’empire du mystère”, un autoportrait du sculpteur Hélène Bertaux

3 caractéristiques me font parler d’autoportrait, caractéristiques mentionnées dans la notice du Musée d’Orsay:
”Détails –    femme ; nu ; COIFFE ; ATTRIBUT ; LAMPE A HUILE”

ATTRIBUT
dans la main droite : de la terre glaise qu’elle pétrit ?
la terre glaise : attribut du sculpteur ?
Hélène Bertaux SE SCULPTERAIT en Psyché

COIFFE
**une coiffure avec bouclettes aplaties, façon ‘’circonvolutions du cerveau’’ qui pourrait signifier: ”je pense”
**2 petites ailes qui, dans le mythe, sont données à Psyché par Zeus lorsqu’elle devient immortelle
**2 petites ailes qui peuvent faire penser à Hermès, le messager des dieux…..et le protecteurs des voleurs, des ‘’exclus’’…..comme Hélène Bertaux le fut

LAMPE A HUILE
**dans la main gauche: une lampe à huile (voir Photo d’Olivier Zahm
https://purple.fr/diary/psyche-sous-lempire-du-mystere-by-helene-bertaux-before-1897-at-the/)
**dans le mythe, lors d’une de ses épreuves, Psyché est aux enfers…..d’où la lampe à huile pour qu’elle s’éclaire… ?
la lampe à huile aurait servi et servirait au sculpteur à s’éclairer dans……son enfer…

AUTRES
**le visage très concentré
**une moue un peu enfantine, qui manifesterait une désapprobation…….envers…..la condition sociale des femmes du XIXe à laquelle Hélène Bertaux ne s’est pas pliée
**expression du visage: une volonté farouche d’agir
**silhouette hiératique: ‘’raideur’’ exprimant cette volonté farouche d’agir,

dans le mythe, Psyché s’acharne à percer le mystère de l’identité de son amant mystérieux….., elle y parvient, d’où la cascade d’épreuves et de malheurs qu’elle s’acharnera alors à surmonter,

cette volonté farouche d’agir d’Hélène Bertaux correspondrait à ’’l’acharnement à percer le mystère puis à surmonter les épreuves’’ du mythe, d’où le titre, ‘’Psyché sous l’empire du mystère’’

**la moue un peu enfantine est aussi un petit sourire, un sourire intérieur, mais aussi
un sourire adressé au monde……Hélène Bertaux est sûre de son destin,

dans le mythe, les épreuves débouchent sur……une fin heureuse,
cette fin: Psyché devient immortelle et Zeus lui donne 2 ailes de papillon, ailes dont les 2 petites ailes de la coiffe seraient l’équivalent.

Hélène Bertaux est devenue  immortelle

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